Le
nuage bleu
J'étais à Grenoble lorsque je
me suis offert ce petit album tout à fait surprenant alors que je me balladais
dans une grande enseigne hifi-librairie-informatique dont je ne citerai pas le
nom de peur d'avoir les foudres de certains libraires qui passeraient dans le
coin. Et donc, dans le rayon Littérature de Jeunesse, il y avait des promos sur
plein plein plein de bouquins en petits formats. Je n'avais pas la liste du
Ministère de l'Education Nationale (coucou futur patron ! ) sur moi, alors j'ai
fouillé et j'ai choisi un peu au hasard, selon l'attrait que j'avais pour les
couvertures, les titres …Je tombe alors sur Le Nuage Bleu, de Tomi Ungerer. Le
GRAND Tomi Ungerer. Ca ne pouvait être que joli et touchant. J'avais déjà lu,
quelques temps auparavant, Otto, Autobiographie d'un ours en peluche du même
auteur, j'étais donc séduite d'avance.
C'est donc l'histoire d'un nuage
bleu , rejeté par les autres nuages décide de parcourir le monde, tout ce qu'il touche devient bleu à
son passage. Il finit par tomber sur une ville à feu et à sang où
plusieurs ethnies se battent les unes contre les autres. Il se sacrifie et se met à
pleuvoir sur la ville. Tout devient bleu : les maisons et les gens qui ne voyant plus
leurs différences de couleurs, arrêtent de se battre.
La différence comme une
garantie de bonheur?
C'est surtout sur le thème de la
différence de l'autre que se base l'album. Ce thème ressort déjà dès l'abord de
la première de couverture qui présente un nuage anthropomorphique bleu au-dessus
d'une mer de nuages blancs tous apparentés à des moutons identiques. Ces
moutons sont un double jeu sémique de la part de l'auteur illustrateur puisque
visuellement et dans la réalité, les mers de nuages ressemblent à des moutons,
mais cela évoque évidemment les moutons de Panurges, cette majorité qui suit
bêtement les autres sans vraiment réfléchir. Le début du texte évoque
d'ailleurs un "troupeau de nuage" comme pour rappeler les attitudes
généralisées. Si on retourne l'album et qu'on s'attarde sur la quatrième de
couverture on a trois oiseaux dont un bleu et deux gris. D'entrée donc, le
thème de la différence s'impose tout comme dans le titre: un nuage bleu c'est
différent des autres nuages que nous connaissons tous gris ou blancs…
Mais attardons nous sur le
personnage principal : le nuage bleu. Il a une forme humaine comme d'autres
nuages de l'album mais est complètement différent : il est toujours souriant
jusqu'à ce qu'il découvre la ville en guerre. Il ne fait rien comme les autres
: il refuse de pleuvoir par mauvais temps, est joyeux, se promène et sa
différence apporte la joie et la gaieté : tout ce qu'il touche devient bleu, il
devient à la mode et vénéré et surtout il réconcilie les hommes en guerre en se
sacrifiant. Est-ce là le moyen de montrer que les différences sont sources de
richesse et de joie?
La
symbolique du bleu
Le
bleu est très présent, le nuage est bleu, ce qu'il touche devient bleu, et la
ville qu'il a sauvé finit par s'appeler "Nuagebleueville" et est
toute bleue…Quelle est donc la symbolique du bleu? Le bleu c'est l'infini mais
surtout le rêve. A mon sens, l'auteur concrétise dans son album un rêve : celui
où tous les hommes finissent par s'entendre tous ensemble et à ne plus voir les
différences. Mais c'est seulement un rêve.
De
l'humour
Déjà
à travers les yeux d'un enfant, la forme du nuage bleu, son visage, son
sourire, le fait que tout ce qu'il traverse devienne bleu, cerf-volant, pic de
montagne, oiseau jusqu'à l'alpiniste qui grimpe sur la montagne…est propre à faire
rire. On pourra aussi remarquer la présence d'une vache mauve qui n'est pas
sans rappeler le bon lait qui sert à faire le bon chocolat Suisse.
La
bêtise humaine
C'est
bel et bien la bêtise humaine qui ressort de cet album mais il faut tout de même
avoir des yeux d'adultes pour le comprendre. Déjà parce qu'il faut à ceux qui
se battent d'être tous de la même couleur pour qu'ils cessent leurs
affrontements : ils sont tous pareils, mais finalement encore différents,
puisqu'il n'est question que d'apparence. C'est donc bien la représentation de
la connerie humaine concernant l'importance portée aux apparences mais aussi
aux petits détails qui font les différences. Et c'est là aussi une dénonciation
de la bêtise xenophobe : éliminer un peuple pour être tous pareils. N'oublions
pas que Tomi Ungerer a vécu la seconde guerre mondiale et les horreurs qu'elle
a engendrée : le nazisme, l'eugénisme, la shoah …On remarquera d'ailleurs une
extrême violence dans les propos lorsque la ville en guerre est décrite :
Ce
n'était que carnages et pillages.
Les
blancs tuaient les noirs,
les
noirs assassinaient les jaunes,
les
jaunes trucidaient les rouges
et
les rouges exécutaient les blancs.
Tout
est très "vrai". Et le but n'est pas de terroriser le lecteur mais de
lui faire ouvrir les yeux sur des comportements humains inhumains.
Malgré
tout l'espoir de la fin, tout le monde est bleu et s'entend bien, l'auteur
illustrateur laisse un petit bémol : dans l'avant dernière double
page, parmi la population toute bleue, reste un homme vert qui protégé de son
parapluie n'a pas pu être coloré de bleu. Il n'est pas mêlé à la foule, et donc
reste au ban de la société.
Au
final, la morale n'est pas que la solution est que nous soyons tous pareils
mais que nous acceptions les différences des uns et des autres car c'est ce qui
fait la richesse de nos échanges et de nos relations humaines.
Je
ne peux m'empêcher de faire le rapprochement avec Rhinocéros de Ionesco à
travers le comportement "moutons" évoqués à plusieurs reprises.
Rhinocéros est d'ailleurs une illustration du phénomène "nazisme",
"racisme" et qui montre comment les gens se sont bêtements laissés
enrôler : tous deviennent des rhinocéros, juste capable d'être bêtes et
violents.
Bref,
si cela reste un joli conte pour enfant, émouvant et touchant, ça l'est
d'autant plus pour un adulte qui sera invité lui aussi à réfléchir sur la
différence…Un album à lire donc, quel que soit notre âge !