La vie n'est pas un long fleuve tranquille
Ceci n'est pas une fiction.
L'impression de n'avoir été considérée que comme une enveloppe corporelle, un manteau de chair ne m'a pas quittée depuis ce moment là, vive comme à l'instant où les mots contradictoires de cet homme m'ont transpercée. Je me suis sentie amoindrie, inexistante, profondément blessée. Lui n'était à mes yeux qu'un ami, mes intentions étaient claires mais je dois avouer que si je suis allée à ce rendez-vous c'était quelque part une façon pour moi de me prouver que je pouvais séduire en restant moi-même. Lui paraissait tolérant. Le rendez-vous en question, à midi à la table d'un petit restaurant sympathique, a été fort agréable : rires, fous rires, anecdotes personnelles. J'avais été entièrement moi-même, sans fard, ni mensonge. J'avais cru sentir que la sensation de bien-être était réciproque et ça l'était d'après lui. Mais. Il fallait bien un "mais". Pour lui je suis sensationnelle, géniale, la femme de ses rêves. Ce sont ses propres mots. Ceux qu'il m'a dit. Me voilà bien flattée de lire tant de choses agréables sur mon compte,-flattée et surprise, pour combien de temps?-. La suite de ses déblatérations sur ma petite personne a été encore plus surprenante. Il s'agissait de mon physique. Mon poids. Ma carrure. Ma plastique particulière. Il ne pourrait pas être amoureux de moi à long terme a-t-il dit. Non. Il ne pourrait pas. Parce que je suis trop grosse. N'ayons pas peur des mots. Dans mon langage personnel j'appelle ça "un mufle de service". Mais j'ai particulièrement adoré la suite. "Mais on peut toujours avoir une relation non suivie basée sur le sexe". C'est à quelques mots près la belle romance qu'il me proposait, quand bien même je ne souhaitais pas qu'il se passe quoique ce soit entre lui et moi, -et encore moins après tout ça ! -. Je l'ai donc étiqueté "mort de faim de la protubérance génitale". Mon physique ne me rend pas amoureusement désirable mais je demeure tout de même sexuellement baisable. Excusez-moi du terme. Je suis donc baisable. Voilà un compliment dont je me serais bien passée. Je me suis sentie comme un amas de chair doté d'orifices praticables et non comme une personne à part entière, moi, moi Sylvie, la femme qui un court instant fut sensationnelle, géniale , idéale. Me voilà réduite à presque rien. Ce que j'avais compris du regard de l'autre à l'instant sans y réfléchir vraiment, c'est qu'une obèse, -le mot est lâché-, comme moi, n'avait pas droit qu'on l'aime, mais pouvait éventuellement servir de kleenex ou de vide-ordure aux désespérés que la petite branlette du soir devenue insuffisante et trop frustrante, incite à se taper la première venue. Moi qui avais mis tant de temps à porter un regard optimiste sur moi, j'avais tout à coup fait une chute de 30 étages, me noyant dans mes démons anciens à la fois triste pour moi-même et triste de voir à quel point le monde humain est un monde cruel. J'entends sans cesse autour de moi "lui est mignon", "elle est moche", "lui devrait se raser", "elle est super canon". Ce règne du physique m'écoeure, m'empoisonne. C'est un peu plus de deux semaines après cet événement que lors d'un repas j'ai pu être la spectatrice désappointée d'une conversation lors d'un repas : "Chez nous, les filles sont bonnes ! Les mini-jupes les rendent bandantes!" du côté masculin et "Oh la la, je n'aimerais pas prendre du poids, ça ferait pas joli ! Heureusement que j'ai de beau seins …" du côté féminin. Evidemment, j'avais quelque peu du mal à m'intégrer, d'un côté comme de l'autre, et j'ai lancé un "Nous les femmes du Gers, on est belle au naturel". J'ai eu l'impression bizarre d'avoir projeté un brouillard givrant en prononçant cette simple phrase pleine de joie et d'allégresse. Plus personne n'osait rien dire, les visages étaient fermés. Tant de superficialité malaisée par une innocente petite vérité, c'était jouissif. Malgré tout, je ne me sentais pas à l'aise au milieu de ces gens là.
Les kilos sont revenus de plus belle avec le temps, en bonne partie avec la santé dégradée, le manque d'activité et beaucoup d'autres choses. J'ai mis un temps fou à m'accepter ainsi que je suis faite. C'est venu comme un tilt inattendu alors que je me promenais en ville, mon corps est devenu tout à coup mon allié et les regards des caresses. Mais ces remarques récentes m'ont blessée, profondément blessée. C'est comme si on avait ré ouvert une plaie et qu'on avait trifouillé à l'intérieur avec toutes sortes d'instruments de torture. Mais. Il y a toujours, toujours, toujours un mais ! Mais, je sais faire la part des choses, je sais tirer du bon de tout. En l'occurrence, je sais que si je n'étais pas comme je suis, je ne serais pas celle que je suis. Je suis une identité, une seule. Je suis moi, dans toute ma splendeur, ma beauté à moi. Je ne suis pas différente, anormale, marginale ou atypique. Je suis unique comme tout un chacun. Chacun est beau à sa façon. Et je m'efforcerai toujours d'aller à l'encontre des regards et de faire valoir ma personnalité mais aussi, -et surtout-, de faire valoir la personnalité des gens que je croise au quotidien parce qu'il faut bien que ce genre de tracas ait un côté merveilleusement positif.
Ceci n'est pas une fiction.
ps: ça fait 3 semaines que j'essaie de rédiger ce billet. J'ai fini par réussir en prenant du recul. J'avais besoin de l'exprimer d'une quelconque façon. Il fallait exulter comme un antidote, une manière de mettre à plat les choses et de les voir de l'extérieur. Je ne cherchais pas ici à avoir des commentaires du style "je te trouve belle telle que tu es" ou des conseils diététiques. Je me suis fais du bien en l'écrivant. Et si c'est enrichissant pour moi, j'espère que ça l'est aussi pour ceux qui liront.